Page:Lassalle - Capital et travail.djvu/120

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Et pourtant avec cette circonlocution identique, en apparence, vous avez essentiellement défiguré et gâté cette définition même sous plusieurs rapports, et vous l'avez fait avec une intention arrêtée.

Écoutez, je vous le prouverai, monsieur Schulze.

Cette définition, « le capital, c’est du travail accumulé », est une expression tout à fait objective, et, justement à cause de cela, extérieurement juste. Elle ne dit pas si ce travail accumulé est le travail de celui à qui appartient l’accumulation[1]. Il a pu, par exemple, être produit dans un pays par des esclaves, de sorte que seulement, en vertu des institutions judiciaires positives, le travail accumulé appartient aux capitalistes, tandis que le travail proprement dit a été fait par les esclaves. La définition ordinairement usitée des économistes laisse indécis le point à débattre, si l’accumulation et le travail se rencontrent dans la même personne.

Mais, par votre circonlocution, suivant laquelle le capital est « le produit de l’épargne » de quelqu’un qui ne dépense pas tout le produit de son travail, tout son revenu, vous gagnez le point essentiel dont il s’agit pour vous, celui de mettre insensiblement, par cette définition, dans la tête des

  1. Il est vrai que chez Adam Smith et dans toute l’économie libérale, cette naïve supposition constitue la base qui, précisément, caractérise cette économie libérale. Smith et Ricardo ne s’occupaient pas encore du socialisme. Mais chez MM. Bastiat et Schulze, cette supposition tacite apparaît sous forme de polémique ; si les grands fondateurs de l’économie bourgeoise n’ont pas examiné ce point, et, suivant l’apparence matérielle, ils l’ont supposé comme évident par soi-même, les épigones (comme cela se voit d’ailleurs dans toutes sciences) ont érigé ce défaut en chose essentielle et ils ont concentré là-dessus leur accentuation !
    Cette remarque est, en résumé, l’essence de l’histoire de l’économie libérale, depuis Ricardo.