Page:Lasserre - Les Idées de Nietzsche sur la musique, 1907.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE


moréennes de Sophocle, si belles sans musique. Mais nous avons suffisamment fait ressortir le scandale de la théorie. Oubliant la prétendue démonstration que Tristan est sensé fournir, recueillons l’aveu et l’analyse de l’expérience esthétique si sincère et d’ailleurs si lucide en sa frénésie, que cet ouvrage représentait pour le jeune Nietzsche.


Je n’ai à m’adresser qu’à ces esprits qui ont avec la musique une parenté immédiate, pour qui la musique est, en quelque sorte, le sein maternel, et dont le commerce avec les choses est presque exclusivement constitué d’inconscients rapports musicaux. Je demande à ces musiciens authentiques s’il leur est possible d’imaginer un homme qui fût capable d’écouter le troisième acte de Tristan et Yseult, sans aucun secours de la parole et de l’image, comme un colossal développement purement symphonique, sans que son âme fût comme forcée de tendre convulsivement toutes ses ailes avec une violence à perdre haleine. Un homme qui comme ici a, pour ainsi dire, appliqué son oreille au ventricule de la volonté du monde, qui est placé au point d’où il sent le frénétique désir de vivre se répandre dans toutes les artères du monde, comme un torrent mugissant ou comme une cascade vaporeuse, cet