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LES IDÉES DE NIETZSCHE SUR LA MUSIQUE


pénétrer dans l’essence de la tragédie grecque… Et encore devons-nous déjà nous estimer heureux quand, par cette expression de « sérénité grecque », que tout le monde va répétant, on n’entend pas tout bonnement « sensualisme facile » ; c’est dans ce sens que l’a fréquemment employée Henri Heine, et toujours avec un soupir de regret. Mais pour ceux qui ne savent admirer que la transparence, la clarté, la précision, l’harmonie de l’art grec, et qui s’imaginent, parce qu’ils se sont mis sous l’abri du modèle grec, avoir réglé leur compte avec tout ce qu’il y a d’horreur dans l’existence… pour ceux-là, il faut les convaincre que c’est en partie de leur fait propre, si le fond de l’art grec leur paraît plat, mais en partie aussi du fait de la nature intime de la susdite sérénité grecque elle-même : sous ce rapport je voudrais donner à comprendre aux meilleurs d’entre eux qu’ils sont dans la situation de gens qui, regardant dans l’eau d’un lac très limpide et pénétré de soleil, ont cette illusion que le fond du lac est tout proche, qu’on pourrait l’atteindre avec la main. À nous l’art grec a appris qu’il n’y a pas de surface vraiment belle sans une profondeur effrayante[1].


Il est certain que, de tous les genres d’art grec, la tragédie est celui qui porte la plus forte

  1. T. IX, p. 137.