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même temps préoccupée et troublée. Les satellites me pressent ; des cris de douleur s’élèvent autour de moi. Ainsi, il me faut donc quitter pour toujours tout ce qui m’est cher. Je fais ces adieux en pleurant, car la nature n’est pas encore éteinte ; puis je fais un retour sur moi, et un seul désir me reste, celui de faire une bonne mort.

« D’abord, on m’enferma au Siou-kap-t’ien, puis, moins d’une heure après, je fus transportée dans une autre prison où je retrouvai ma belle-mère, ma tante et deux de mes beaux-frères, pris eux aussi. De part et d’autre on se regarde : pas une parole, c’étaient des larmes dans tous les yeux. La nuit vint, mais la lune dans son plein nous éclairait. Sa clarté toute brillante se réfléchissait contre la fenêtre, et on devinait ce que chacun pensait et sentait. Ce que nous demandons tous en silence, c’est la grâce du martyre. Bientôt nos cœurs débordent, et nous faisons tous la résolution d’être fermes comme la pierre et le fer. Plus on avance, plus les grâces de Dieu s’accentuent ; la joie spirituelle augmente dans nos âmes, et nous devenons insouciants à tout le reste.

« Cependant je songeai à mon mari Jean, enfermé dans une autre prison. Comment aurais-je pu l’oublier ! Étant encore à la maison, je lui avais écrit : « Quel bonheur, lui disais-je, si nous pouvions mourir ensemble et le même jour ! » Mais l’occasion manquant, je ne pus lui faire parvenir ce billet. Cependant je n’avais plus d’autre désir.

« Le 9 de la dixième lune, on vint enlever mon beau-frère Jean.

« — Où va-t-il donc ? demandai-je.

« — C’est l’ordre du mandarin, dit le geôlier. On va le conduire à la grande prison avec son frère. »

« J’étais comme coupée en deux, comme percée de mille glaives. On l’emmenait. « Que la volonté de Dieu soit faite ! lui dis-je. Allez donc, et soyez avec lui. Dites aussi à mon époux que mon désir est de mourir avec lui le même jour. » Je répétai deux ou trois fois cette recommandation ; puis, nous lâchant la main, je me retirai.