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« Un quart d’heure après, la nouvelle de leur mort nous arriva. Le coup porté aux sentiments de la nature n’eut chez moi que le second rang. Le bonheur de mon mari me remplissait de joie. J’avais toutefois une certaine anxiété à son sujet. Je fis part de mon doute à l’un des miens.

« — Soyez tranquille, me dit-il ; à l’avance Jean a dû prendre sa détermination. »

« Enfin vint une lettre de la maison. Elle portait :

« On a trouvé dans les habits de Jean un billet ainsi conçu, adressé à sa sœur (c’est ainsi qu’il m’appelait toujours) : Je vous encourage, disait-il, vous exhorte et vous console. Revoyons-nous au royaume des cieux. »

« Alors seulement mes inquiétudes furent dissipées…

« Au reste, notre union avait été une grâce spéciale de Dieu. Nous nous étions mutuellement promis qu’au jour où l’on nous remettrait nos biens entre les mains, nous en ferions quatre parts : une pour les pauvres, une autre très large pour nos frères cadets, afin qu’ils pussent bien soigner nos parents ; puis, au cas où des jours heureux reviendraient, nous devions nous séparer et vivre avec le reste chacun en son particulier.

« L’an passé, à la douzième lune, une tentation des plus violentes se fit sentir. Mon cœur tremblait comme une feuille, semblable à quelqu’un qui marcherait sur la glace prête à se rompre. Je demandai instamment, les yeux levés au ciel, la grâce de la victoire. Par le secours de Dieu, à grand’peine nous avons triomphé et nous nous sommes conservés. Notre confiance mutuelle en est devenue solide comme le fer et la pierre, et notre amour et notre fidélité inébranlables comme une montagne.

« Après la mort de mon mari, je fus, par sentence du tribunal, mise au rang des esclaves de préfecture et condamnée à un exil lointain. Je me présentai devant le mandarin et lui fis mille réclamations. « Nous tous qui honorons le Dieu du ciel, nous devons tous mourir. Je veux, moi aussi, mourir pour Dieu, comme les autres personnes de ma maison. » Il me chassa de sa présence ; mais moi, au contraire, je m’approchai davantage. Je m’assieds même devant lui et je lui dis : « Pourquoi donc n’exécutez-vous