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guère le coup de sabre qui doit la terminer. Malgré tout cela je me porte assez bien : ce pays sec et froid convient à mon tempérament. »

Ce genre de vie, imposé par les circonstances et si pénible à la nature, les deux compagnons de Mgr Imbert le partageaient avec le même entrain. Mais ce qui leur était le plus cruel, c’était la crainte continuelle d’une persécution générale, qui d’un moment à l’autre pouvait éclater comme un ouragan terrible et détruire, en quelques jours, le fruit de tant de travaux et de sacrifices.

L’orage semblait en effet gronder sourdement. De temps en temps des alertes et des nouvelles de persécutions locales tenaient en éveil missionnaires et chrétiens. Plusieurs victimes choisies étaient allées cette année même, 1838, grossir dans le ciel le nombre des martyrs.

Et cependant, au milieu de tant de préoccupations, comme si l’administration de tant de chrétiens dispersés et le soulagement de tant de misères n’eussent pas suffi à leur zèle, ces trois fervents apôtres songeaient à l’abandon des îles Lieou-Kieou et s’informaient auprès des Japonais de Fuzan-Kai des moyens d’aller recueillir les nobles débris échappés au Japon, à deux siècles de persécution. Qu’il est beau, ce feu de l’amour qui fait mépriser les dangers présents et certains, pour voler sans crainte au-devant d’autres plus grands encore, si possible, pourvu que le Bien-Aimé soit connu, aimé et glorifié ! Fatigatus non lassatur, arctatus non coarctatur ; territus non conturbatur ; sed, sicut viva flamma et ardens facula, sursum erumpit secureque pertransit[1].

Dieu se contenta des bons désirs de ses serviteurs. La croix les attendait en Corée ; bientôt ils devaient y consommer leur sacrifice. La foi avait repris un nouvel essor partout où les missionnaires avaient pu pénétrer. Un grand nombre d’apostats avaient pleuré leur lâcheté passée. Les catéchistes, les confréries et des livres de religion avaient donné plus de ferveur et de cohésion

  1. L’amour ne se lasse point par la fatigue, n’est enchaîné par aucun lien, troublé par aucune frayeur ; mais, semblable à la vive flamme et à l’ardente torche, il s’élève avec force et franchit tous les obstacles sans aucune peur.