Page:Launay, Dallet - La Corée et les missionnaires, 1901.pdf/300

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vous vous empressez de lui opposer votre toile, et vous vous enveloppez la figure dans votre éventail. Personne n’est offusqué de ce soin que vous prenez de vous rendre invisible ; car plus on se soustrait à tout regard, et mieux on garde le deuil, qui est un devoir strict et sacré dans ce pays.

« … Affublés de nos précieux abat-jour et descendus dans un esquif, nous profitons de l’obscurité de la nuit pour nous élancer sur la rive, et nous nous engageons dans les rizières. La marche est pénible au commencement : pas un chemin tracé. Nous franchissons des fossés et des canaux remplis d’eau ; nous côtoyons des précipices et des mares. Force nous est de nous accrocher et des pieds et des mains. Enfin nous grimpons, nous sautons, nous plongeons aussi parfois, jusqu’à ce que nous ayons atteint le chemin qui conduit à la capitale.

« … Toute la nuit est employée à courir ; mais nous nous en acquittons si bien, qu’au point du jour nous sommes en vue de la ville. Les portes étant fermées, il fallut attendre dans la maison d’un chrétien des faubourgs. Quelque temps après nous nous remettions en route, et nous entrions dans la place au moment même où les ministres du roi, accompagnés d’un certain nombre de mandarins civils et militaires et escortés d’un grand nombre de satellites ou de soldats, accouraient au-devant de leur roi qui allait rentrer.

« … Comme le peuple accourt en grandes masses, la foule est si compacte qu’il n’est plus facile de la traverser. Imaginez-vous donc votre serviteur faisant tous ses efforts pour se frayer un passage et se rallier à ses compagnons, s’embarrassant dans la foule, coudoyant un petit mandarin piéton, allant se jeter par ricochet sur l’épaule d’un satellite ou celle d’un soldat, et se contentant pour toutes ces mésaventures de leur dire tout bas, de peur qu’ils ne l’entendent :

« — Si tu savais qui je suis, tu ferais plus que me coudoyer. »

« … Notre courrier et le chrétien chez lequel nous sommes descendus au faubourg nous précèdent pour nous indiquer la route à suivre. Nous les serrons de près, mais rangés à la file, comme les canards. Notre énorme chapeau nous soustrait à tout