Page:Launay, Dallet - La Corée et les missionnaires, 1901.pdf/301

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regard ; mais en même temps il borne tellement notre horizon, que nous pouvons tout au plus voir les pieds de nos conducteurs ; encore faut-il pour cela les talonner de bien près. Or, comme tous les pieds se ressemblent, ne voilà-t-il pas qu’au milieu de la bagarre je me mets à la suite de deux autres Coréens qui me précédent, et, croyant bien ne pas manquer mon coup, je m’attache scrupuleusement à leurs pas. Mes nouveaux conducteurs me font couper plusieurs rues, m’engagent dans des ruelles, jusqu’à ce qu’enfin j’arrive à un cul-de-sac. Là, ils se détournent de mon côté pour entrer dans une maison : je soulève mon chapeau, je les regarde, et à leurs traits, qui me sont complètement inconnus, je m’aperçois que je suis bien loin de mes compagnons et de mes guides. Vite je baisse ma visière, et, tout en feignant de considérer les maisons voisines, je me hâte de battre en retraite. Mais où aller ? Seul au milieu d’une capitale que j’aborde pour la première fois, sous l’anathème d’une législation cruelle et inhospitalière, n’étant pas capable de fabriquer une phrase coréenne, essayerai-je de m’aboucher avec quelqu’un dans la rue ? Mais, au premier mot de mon jargon, ne se hâtera-t-on pas de me faire arrêter ? Et puis, que demanderai-je ? La maison d’un chrétien ? C’est comme si, à Paris, on s’enquérait au hasard, près d’un passant, de la retraite d’un de ces hommes malfaisants que poursuit la justice humaine. Telles étaient les premières pensées qui se heurtaient dans mon esprit. Mais, comme j’avais déjà éprouvé qu’il y a une bonne Providence pour les missionnaires, je me jetai dans ses bras par une courte prière. Avec un sans-souci que le bon Dieu permit alors que maintenant je ne puis concevoir, je revins sur mes pas. J’eus le bonheur de retrouver la grande rue, où je m’étais séparé de mes compagnons. Là, je circulai du côté où je présumais que l’on s’était dirigé, et bientôt j’arrêtai au passage le courrier, qui, tout effaré, courait à ma recherche.

« … Je vous laisse à penser les appréhensions de Sa Grandeur et des autres missionnaires au moment où, entrant dans la maison et pouvant enfin regarder autour d’eux, ils ne m’avaient pas vu. Heureusement, après un quart d’heure d’anxiété, j’arrivai pour y mettre fin, et, de concert avec M. Daveluy, nous célébrâmes tout