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Tandis qu’ils allaient et venaient, murmurantes silhouettes, les assistants observaient, très intrigués. Des beuglements de populace arrivaient par instants, mêlés à des bruits nocturnes, plaintifs et lointains.

À présent, c’était, au milieu de la chaussée, un échafaudement calculé avec sagesse, en s’y reprenant à plusieurs fois, des coups de marteau sûrement frappés, des clavettes, des écrous, des pièces de bois s’articulant à la façon d’un jeu de patience, toute une lente, ingénieuse et déterminée besogne accomplie dans l’ombre, non à la légère. Et cette rudimentaire architecture, cette louche menuiserie peu à peu montait, se précisait, arrachant aux spectateurs des exclamations de surprise. Bientôt les deux montants se dressèrent, parallèles, oscillant une seconde, puis soudain se fixèrent, immobiles, ainsi que deux gigantesques bras de fakir tendus vers le ciel.

Vite une échelle qui ployait fut appliquée. Des hommes y montèrent. On hissa une lourde chose qui semblait lourde comme un sac d’écus. Quelques tâtonnements… des glissements de poids dans des rainures huilées… une corde tirée… un ressort claqua… Et quand les hommes furent descendus, les deux grands bras rouges entre leurs poings de chêne tenaient haut et ferme une large lame, épaisse, en forme d’équerre. De toutes les poitrines jaillit un même cri : « L’couteau ! L’couteau ! » Et chacun le regardait béant, muet, sans salive. Il était deux heures et demie. »

Alors un monsieur qui jusque-là s’était tenu à l’écart et que personne n’avait remarqué, fit quelques pas en avant. Il paraissait avoir de quarante à quarante-cinq ans. Vêtu d’un paletot de gros drap dont le col était relevé, par-dessus un foulard de soie blanche, son chapeau à haute forme enfoncé très en arrière et jusqu’aux oreilles, la barbe épaisse et d’un roux foncé, il tenait, accrochées derrière son large dos, ses deux mains non gantées qui secouaient un trousseau de petites clefs. On distinguait ses poignets de laine rouge qui dépassaient la manche.

Il avait le buste fort, les épaules carrées, de courtes jambes. C’était le bourreau. Il avait l’air arrangeant, et rond en affaires.

S’étant avancé jusqu’au pied de sa guillotine, il la toisa du haut en bas, la déshabilla du regard, la posséda, s’absorba en elle durant une minute ou deux. Puis il la toucha, la palpa, la caressa, promena sur elle ses mains satisfaites, puis, comme pour éprouver son inébranlabilité, lui flanqua plusieurs coups d’épaules, quelques taloches, et de familières bourrades… Il la regarda par devant, par derrière, à droite, à gauche, de face et de profil ; il la flaira, la renifla, l’embrassa ; sur le pavé il se mit à genoux, comme s’il l’adorait, inspectant ses dessous, presque allongé sur le sol, tandis qu’il s’éclairait