Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/114

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un élan de sympathie fraternelle les portait vers ce maigre et grand garçon dont quelques paroles de Mlle Bonniol leur avaient révélé la vie dure, difficile et si méritoire. Ce n’était plus le timide dont l’embarras les avait si péniblement affectés dans la matinée, mais un homme criant sa souffrance, exprimant son amertume et trouvant les mots où se répandait le trop plein de son cœur misérable. Sans geste, à voix lente et basse, Coste recommença :

— L’instituteur est un demi-bourgeois, mais s’il est encore envié de ce chef par le paysan, il lui est aussi indifférent, pour ne pas dire davantage. Sous prétexte de dignité à garder, d’effet moral à produire, il vit presque à l’écart, solitaire et étranger, ne se mêle à la vie du paysan que de moins en moins ou lorsque — par exemple en temps d’élection — il n’a que des antipathies à glaner au contact des passions hostiles. De là des méfiances, des inimitiés qui ne désarment guère, et, si l’instituteur est gêné, des moqueries, des mépris dont pâtit le peu de considération qui lui reste. Dominé par la pensée de son avancement, d’un poste plus avantageux, il ne se fixe plus dans un village. Rares sont ceux qui, au bout de trois, quatre ans au plus, pour une cause ou pour une autre, soit qu’ils le demandent, soit qu’ils aient déplu, ne subissent pas un déplacement onéreux. Aussi l’instituteur devient-il pour le paysan l’étranger qui passe, qu’on n’aime pas, dont on ignore les origines, celui dont on dit seulement : Il n’a pas à craindre les gelées ni la grêle, celui-là : tous les mois, il va récolter chez le percepteur, et, avec ça, des vacances pour se promener aux frais du gouvernement…

— Bien heureux — conclut un collègue de Coste — quand ils ne nous traitent pas de fainéants aux mains blanches.

Un découragement immense se lisait dans l’attitude de Coste, assourdissait sa voix tout à l’heure vibrante et qui désormais arrivait lointaine. Il se tut et un silence pénible