Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/163

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dernier rang, il est vrai, et allaient représenter l’opposition dans le nouveau conseil.

Aussi, lorsqu’on vint lui apprendre le résultat de l’élection, le maire en éprouva-t—il un regret immense et quelque peu tragique.

— Oui, c’est ma faute, c’est ma très grande faute ! — s’écria-t-il, répondant aux reproches amers de ses amis. — Je leur ai laissé la partie trop belle… J’ai déserté lâchement le champ de bataille… Mais si diable j’eusse cru le succès possible, dans ces conditions !

De dépit, il se prenait à détester son mas, regrettant douloureusement cette écharpe qu’il n’avait pas su conserver. Et, en proie à un grand découragement :

— Ah ! — soupirait-il, — c’est trop tard. Regrets superflus ! Maintenant qu’ils y sont, les brigands, ils s’arrangeront, eux, pour ne plus s’en aller !

C’est bien, en effet, ce que se promettaient les vainqueurs qui, leur étonnement passé en voyant leur faible victoire, se livrèrent pourtant, dès qu’on eut proclamé les résultats, à des explosions de joie délirante, à des transports comiques. Pour triompher plus bruyamment et avec plus d’éclat, on promena dans les rues du village un mannequin représentant M. Rastel, avec de grosses lunettes et une cape de charretier ; des jeunes gens tapaient du tambour et criaient :

«  Quelle veste ! oh ! quelle veste ! » Puis on le brûla devant la mairie avec des chants et des danses, tandis qu’un énergumène, pérorant sur le perron, allait, dans l’excès de sa joie, jusqu’à déclarer cyniquement :

— Et maintenant que nous y sommes, qu’ils viennent, les rouges ! Je vous fiche mon billet qu’ils ne nous balaieront pas facilement. Ohé ! les républicains, les communards, vous n’êtes pas adroits ni de taille à lutter avec nous. Les tours de passe-passe, c’est pas votre affaire… vous n’êtes que des apprentis.