Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon Dieu ! est-ce devenu possible ? Et puis, si je suis malade, c’est encore de ta faute… Quand on ne peut pas nourrir ses enfants, on ne les fait pas… on ne ruine pas la santé de sa femme…

D’autres fois ils se reprochaient leur pauvreté, leurs familles, leur mariage :

— Ah ! — murmurait Louise, —j’aurais dû épouser un ouvrier… Je ne serais pas la belle madame que je suis, mais j’aurais le nécessaire… ma mère et mon père ne sont pas riches, pourtant ils ne savent pas ce que c’est que la misère.

— Pardi ! — répliquait Jean, — parlons-en de tes parents. Des égoïstes qui ne s’occupent même pas de ce que nous faisons ; pourvu qu’ils aient le ventre plein, pourvu que ton père aille jouer et se saouler au café…

Hélas ! ils se querellaient souvent ainsi ; la haine est sœur de la misère ; les meilleurs sentiments s’empoisonnent par elle.

Pleins de fiel et de révoltes, Louise et Jean devenaient méchants l’un pour l’autre, et, selon l’expression du pays, irritables jusqu’à se battre avec leur ombre. Puis, brusquement, au cours de ces scènes, Louise, vaincue et lasse, fondait en larmes, et, dans sa faiblesse aggravée, portait la main à son cœur prêt à se briser.

À ce geste d’indicible souffrance, Jean avait honte de sa dureté. Toute sa pitié, toute son affection affluait dans son âme, emportait ses rancunes. Il se jetait alors aux pieds de sa femme et, sanglotant avec elle, il lui demandait pardon. Ils s’embrassaient et longtemps, doucement, ils pleuraient ensemble ; mais le mal était fait. Ces sombres et douloureuses querelles leur laissaient comme un arrière-goût de haine. A part eux, dans la solitude de leur âme, ils ne pouvaient s’empêcher d’y revenir, d’y penser et de s’accuser réciproquement d’injustice. De mornes silences tombaient entre eux ; ils oubliaient leurs baisers, leurs promesses de la