Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/74

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— Mamette est méçante, — philosophait Rose, — depuis qu’elle a les yeux blancs, n’est-ce pas, papa ?

— Oh ! oui ! — assurait Paul, — elle crie toujours.

Jean, les yeux pleins de larmes, car il ne devinait que trop la pensée de sa mère, embrassait sa fillette, et, tristement, répondait :

— Chut ! Rosette… ce n’est pas beau de parler comme ça… Mamette est bonne toujours… mais elle a de gros chagrins et du bobo, depuis qu’elle ne peut plus y voir.

— Et qui lui a mis ce blanc dans les yeux ? — demandait Paul.

— C’est parce qu’elle est vieille, bien vieille, et qu’elle a beaucoup travaillé…

— Alors, toi et mérette, quand vous serez vieux, vous aurez du blanc aux yeux ? vous serez méchants ?

— Mais oui, Paulou… Chut ! il ne faut pas dire cela.. ce n’est pas gentil…

Songeurs, les enfants contemplaient le masque dur et terreux de la grand’mèce, dès qu’elle réapparaissait, et, dans leurs silences brusques, on sentait passer comme un effroi de choses mauvaises et imprécises.

Un autre crève-cœur pour Jean, c’était d’entendre Paul lui dire, d’autres fois :

— Dis, papa, pourquoi ne m’achètes-tu plus de belles bottines ?… Vois, mes souliers et ceux de sœurette sont laids et troués comme ceux des petits pauvres ; les engelures me démangent.

Jean, dévorant un sanglot, se détournait.

— Le mois prochain, — répondait-il évasivement, — bientôt, si vous êtes bien sages, mes chéris. Hélas ! il ne savait que trop que le mois prochain viendrait et que l’argent fondrait encore entre ses doigts ; derechef, la question de Paul serait accueillie par les mêmes paroles évasives et les petons endoloris des enfants, au lieu