Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/77

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Pendant que Louise l’attendait au bureau de la diligence, Jean s’en alla faire quelques petits achats en ville. Comme il revenait soucieux, supputant l’argent dépensé ce jour-là et se livrant à ses éternels calculs, il fut abordé par un jeune homme qui descendait le boulevard.

— Pardon, je ne me trompe pas… monsieur Coste ?

— Tiens, c’est vous, Darbel !

Jean venait de reconnaître un de ses anciens élèves de Peyras. La mise soignée, presque élégante du jeune homme, lui rappela aussitôt son pantalon élimé par le bas, sa redingote luisante aux coudes et aux omoplates. Ses pommettes se colorèrent d’une rougeur de honte.

— Et madame Coste et les enfants ?… ils vont bien ?…

— Les enfants, oui… mais non ma femme. Nous venons de chez le médecin.

— Ah ! Tant pis !…

Coste détourna la conversation.

— Et vous, Darbel, que faites-vous ici ?… Je vous croyais encore à Peyras.

— Non, j’ai eu de l’avancement ; je suis ici commis au télégraphe, depuis quelques mois.

— Mes félicitations… Et êtes-vous bien payé ?

— Couci-couci, quinze cents francs actuellement ; mais, tous les trois ans, j’aurai trois cents francs d’augmentation jusqu’à deux mille sept cents…

Quand ils se séparèrent, Coste songea mélancoliquement à cet ancien élève, non certes des plus intelligents, qui, à l’âge de vingt-cinq ans, gagnerait dix-huit cents francs, pendant que lui, instituteur depuis dix ans, avait mille francs comme traitement fixe. Pour la première fois, Coste se laissa aller à un mouvement de révolte. Âprement et non sans haine, il se mit à envier le sort des plus heureux que lui, de ces riches qui, dans la douceur de cette après-midi, avant-courrière du printemps, se pavanaient dans leurs voi-