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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

seconde, j’en apportais vivement une douzaine à Rossini, très certain de lui faire plaisir, ce qui ne manquait pas.

Un jour il me dit : « Mon bon ami, ma grande clarinette[1], j’aimerais bien, quand vous m’apportez des royans, que ce ne soit pas toujours le samedi. »

(Il faut croire que mes arrivages avaient lieu plus spécialement le samedi, ce dont je ne m’étais jamais aperçu.)

Je ne pus retenir un geste d’étonnement, auquel il répondit de suite.

« Le samedi, j’ai toujours du monde à déjeuner et à dîner ; et, quand j’ai des royans, j’aime mieux les manger seul, à mon aise, et sans parler… J’en donne toujours un à ma femme, en bon mari »

Donc, il mangeait les onze autres… C’est un peu glouton, j’en conviens, mais il disait cela si gentiment et de si bonne foi que cela faisait plaisir à entendre.


Autre souvenir de Rossini intime.


Je n’ai jamais vu, de mes yeux vu, les trente perruques que beaucoup de gens affirment qu’il possédait, pour simuler la croissance vraisemblable des cheveux dans le cours d’un mois. Mais ce dont je me souviens très bien, c’est qu’il ne mettait pas tous les jours la même perruque, qu’il en avait sûrement plusieurs, et en graduait savamment l’emploi. Coquetterie sénile bien italienne, bien amusante, mais aussi bien anodine.

Ce qui était infiniment plus drôle, c’était de le voir le matin sans perruque du tout.

  1. C’était un terme d’amitié par lequel il aimait à me qualifier, parce que, en ce temps-là, je m’étais mis, à son instigation du reste, à travailler la clarinette, comme plus tard le cor.