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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

chose, soit pour piano, soit pour chant, des feuillets d’album, uniquement pour occuper sa plume (et dont beaucoup sont pleins d’intérêt, mais inconnus, ou même restés inédits), car il avait renoncé nettement, depuis Guillaume Tell, à la composition dramatique, sentant bien qu’il ne pourrait jamais faire mieux ni s’élever plus haut, ce qui est un exemple admirable de bon sens et de connaissance de soi-même.

Quant à son outillage, à son installation pour composer, c’était élémentaire et dépourvu de tout confortable : une seule table, de la forme la plus incommode de toutes, c’est-à-dire un guéridon ovale en acajou, toujours branlant et chancelant, isolé au beau milieu de la chambre à coucher ; sur ce guéridon, au milieu des amoncellements de paperasses, un grand encrier en cristal, un très gros porte-plume avec plume en or, d’assez nombreux grattoirs, tous à manche très long, et une tabatière, car il se servait de tabac à priser comme poudre à sécher l’encre ; devant la table, une chaise de salle à manger recouverte de moleskine, qui était la seule chaise de la pièce, moyen simple d’éviter que les visites se prolongeassent de façon importune ; le mobilier était complété par un grand lit de tête, faisant face aux fenêtres, un petit piano droit de Pleyel, une belle chaise-percée, et une armoire à glace en acajou placée entre les deux fenêtres, où il serrait ses manuscrits au fur et à mesure de leur production ; je crois bien que c’est tout[1].

C’est donc sur la chaise de moleskine qu’il passait la majeure partie de son temps.

Un matin où il y était assis, coiffé de son mezzaro, et en train de me faire travailler une de ces intéressantes pièces de

  1. C’est la chambre de Paris, 2, rue de la Chaussée-d’Antin, dont les fenêtres donnaient sur le boulevard des Italiens, que je décris ici. Celle de la villa de Passy n’était pas plus luxueuse.