M. Drumont ? Je suis Juif et, en tant que Juif, il désire me renfermer dans un ghetto, me priver de mes droits d’homme et refaire de moi un paria. Pense-t-il donc me consoler ou m’adoucir en me disant : « Mon ami, vous ne manquez pas de talent » ? Cela serait vraiment insuffisant.
Mais si je n’ai aucun motif pour être agréable à M. Drumont, je n’en ai pas non plus pour lui être désagréable. Il me fera peut-être l’honneur de croire que ce sont des mobiles plus hauts et plus graves qui me poussent.
Je n’ai jamais varié d’opinion sur M. Drumont. Dans mon livre sur l’Antisémitisme, son histoire et ses causes[1] — dans lequel il avait trouvé quelques pages qui lui semblaient « empreintes d’une certaine impartialité » — j’ai écrit (page 241) : « M. Drumont est le type de l’antisémite assimilateur qui a fleuri ces dernières années en France et qui a pullulé en Allemagne. Polémiste de talent, vigoureux journaliste et satiriste plein de verve, M. Drumont est un historien mal documenté, un sociologue et surtout un philosophe médiocre. » J’ajoutais en parlant de quelques historiens, économistes et philosophes qui professaient l’antisémitisme : « Il ne peut, sous aucun rapport, être comparé à des hommes de la valeur de H. de Treitschke, d’Adolphe Wagner et d’Eugène Duhring. » À cette époque, M. Drumont me répondit qu’il ne connaissait aucun de ceux dont je parlais. — Cela ne me surprit pas et il y a bien d’autres choses encore qu’il ignore. — Il voulut bien, néanmoins, me dire que malgré cela, il les aimait, parce qu’ils détestaient les Juifs, mais qu’il leur était certainement supérieur puisqu’il était Français.
Avec un raisonnement semblable, on en arrive facilement à considérer Meilhac comme supérieur à Shakespeare, et Jean Aicard à Gœthe.
- ↑ L’antisémitisme, son histoire et ses causes. Léon Chailley, éditeur, 42 rue de Richelieu.