Aller au contenu

Page:Lazare - Une erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, Veuve Monnom, 1896.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour écrire sa missive, de lettres découpées dans un journal, par exemple, ou bien d’une machine à écrire ? il n’a pas songé, dans ce cas spécial, à se servir de la langue allemande qu’en sa qualité d’Alsacien il possède à fond, de la langue allemande, tout indiquée puisqu’il s’agit, dit-on, d’une lettre adressée à l’ambassade allemande, de la langue allemande qui lui offrait enfin le précieux avantage de rendre son écriture facilement méconnaissable, l’écriture allemande n’ayant pas de rapport avec la nôtre.

Cette lettre présente d’ailleurs des contradictions absurdes et que l’accusation s’est gardée de relever. Je vous envoie, dit l’auteur : 5° Le projet de manuel de tir de campagne (14 mars 1894) ; il ajoute immédiatement : « Ce dernier document est extrêmement difficile à se procurer et je ne puis l’avoir à ma disposition que très peu de jours… Si donc vous voulez y prendre ce qui vous intéresse et le tenir à ma disposition après, je le prendrai, à moins que vous ne vouliez que je vous le fasse copier in extenso et ne vous en adresse la copie. »

Rien n’a donc été envoyé puisque la lettre offre, soit de prêter le manuel au correspondant inconnu qui y prendra ce qui l’intéresse, soit de le faire copier, ce qui suppose un ou des complices qu’on n’a jamais trouvés, car il n’y en avait pas, pas plus que de trahison. Par conséquent l’auteur de la lettre n’a rien remis et il se contredit lui-même ; il a offert, et on ne sait si l’offre a été acceptée.

Toutefois, cette offre avait une grande importance pour la puissance à qui elle était faite. La lettre de proposition était par conséquent très précieuse, et on la laisse traîner dans un bureau ! Bien plus, on la déchire en quatre morceaux, on la jette au panier pour compromettre inutilement un agent d’une telle utilité ! Quelle vraisemblance.

Autre chose encore. La missive accusatrice se termine ainsi : « Je vais partir en manœuvres. » Je laisse de côté la bizarrerie syntaxique de cette locution. Ce qui est plus digne de remarque, c’est que, à aucun des moments auxquels peut se rapporter l’envoi des documents mentionnés, le capitaine Dreyfus n’est « parti en manœuvres ». Il est vrai que, dans ce fait, M. Bertillon et le ministère public ont vu une nouvelle preuve de la dissimulation et de l’habileté de celui qui était accusé ! Devant tant d’impossibilités et tant d’aveuglement, on s’arrête !

Cependant, ce sont ceux qui connaissent, dans ses moindres détails, l’affaire ; ce sont ceux-là qui inspirent à l’Éclair les lignes suivantes :

« On ne saura jamais ce qu’il (le capitaine Dreyfus) avait vendu à l’Allemagne contre la mensualité qu’il recevait, laquelle s’augmentait de sommes variables pour toutes les pièces d’importance dont il donnait livraison. Il avait fini, ayant livré tout ce qu’il savait, par les relations journalières de son service, par s’entourer de nouveaux éléments d’investigation. Il feignait une activité méritoire et courait de bureau en bureau, s’intéressant à tout ce que faisaient ses camarades, avec une insistance qui, depuis longtemps, paraissait extrêmement suspecte.