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ÉVANGÉLINE

Roulant ces orbes froids sous les buissons épais,
Dans le nid du moineau dont il trouble la paix.
Ce triste sentiment n’était point de la terre.
De célestes esprits semblaient, avec mystère,
Lui souffler leurs secrets dans l’air calme des nuits.
Elle sentit soudain redoubler ses ennuis.
Quelque chose lui dit dans un secret langage,
Que, pareille en sa course à la vierge sauvage,
Elle aussi poursuivait un fantôme menteur.
Mais bientôt un sommeil calme et réparateur,
Versant sur sa paupière un merveilleux arôme,
Chassa de son esprit la crainte et le fantôme.


Aussitôt qu’apparut l’aube du lendemain
Les voyageurs, dispos, reprirent leur chemin.
Avec eux cheminait la plaintive Shawnée,
Jeune et pourtant au deuil à jamais condamnée.
Elle dit à la vierge : « Écoute-moi, ma sœur,
« Je connais tous ces lieux comme le vieux chasseur,
« Sur le flanc de ces monts où l’aigle a fait son aire,
« Le flanc que le soleil en se couchant éclaire,
« Est assis un village, une humble mission
« Où reste un homme blanc comme ta nation :
« C’est le chef du hameau ; c’est une Robe-noire.
« Son souvenir toujours sera dans ma mémoire,
« Car il m’a baptisée et mariée aussi.
« Je crois l’entendre encor, d’un accent adouci,
« À son peuple parler de la vie éphémère,
« De l’aimable Jésus et de sa bonne mère. »