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évangéline

Il alluma sa pipe et parla de la sorte :
— « Oui, vous tous, mes amis, qui frappez à ma porte,
« Après avoir erré sous des cieux inconnus,
« Je vous le dis encor : Soyez les bienvenus !
« L’âme du forgeron ne s’est pas refroidie !
« Il se souvient toujours de sa belle Acadie
« Et de l’humble maison qu’il avait à Grand Pré !
« Pour lui le malheureux est un être sacré !
« Demeurez près de moi dans ces fertiles plaines :
« Le sang ne gèle point dans nos bouillantes veines
« Comme gèlent, en hiver, les rivières chez nous !
« Nul cailloux dans le sol n’excite le courroux
« Du laboureur actif qui tous les jours promène
« Le soc dur et tranchant à travers son domaine,
« Comme un marin conduit son esquif sur les eaux.
« On ne voit pas tarir nos limpides ruisseaux ;
« Dans toutes les saisons les orangers fleurissent,
« Et les fruits les plus doux dans nos vergers mûrissent ;
« Des flots de blonds épis roulent sur les guérets
« Et les bois précieux remplissent les forêts.
« Au milieu de nos prés on voit sans cesse paître
« De sauvages troupeaux dont chacun est le maître.
« Quand nos toits sont debout au milieu des moissons ;
« Que nos grasses brebis, aux épineux buissons,
« Accrochent, en passant, leurs blancs flocons de laine ;
« Que d’un foin parfumé chaque grange est bien pleine ;
« Que, dans les prés en fleurs, les taureaux lourds et gras
« Paissent tranquillement ou prennent leurs ébats,
« Nul roi Georges ne vient, par d’infâmes apôtres,
« Sans honte nous ravir et les uns et les autres ! »
Puis, à ces derniers mots, le vieux pâtre excité,
Fit jaillir de sa pipe un nuage argenté,