entraînés dans l’abîme. On nous saura gré d’emprunter au père de l’ornithologie américaine une de ses pages les plus éloquentes.
« Voulez-vous, dit l’illustre Audubon, connaître la rapine de l’aigle à tête blanche ? Permettez-moi de vous transporter sur le Mississippi, vers la fin de l’automne, au moment où des milliers d’oiseaux fuient le Nord, et se rapprochent du Soleil. Laissez votre barque effleurer les eaux du grand fleuve. Quand vous verrez deux arbres dont la cime dépasse toutes les autres cimes, s’élever en face l’un de l’autre, sur les bords du fleuve, levez les yeux ; l’aigle est là, perché sur le faîte de l’un des arbres ; son œil étincelle, et roule dans son orbite, comme un globe de feu. Il contemple attentivement la vaste étendue des eaux ; souvent son regard se détourne et s’abaisse vers le sol ; il observe, il attend ; tous les bruits sont écoutés, recueillis par son oreille vigilante ; le Daim qui effleure à peine les feuillages ne lui échappe pas. Sur l’arbre opposé sa compagne est en sentinelle ; de moment en moment son cri semble exhorter le mâle à la patience. Il y répond par un battement d’ailes, par une inclination de tout son corps, et par un glapissement aigre et strident, qui ressemble au rire d’un maniaque ; puis il se redresse, immobile et silencieux comme une statue. Les Canards, les Poules d’eau, les Outardes, passent au-dessous de lui, en bataillons serrés que le cours du fleuve emporte vers le sud ; proies que l’aigle dédaigne et que ce mépris sauve de la mort. Enfin, un son lointain, que le vent fait voler sur le courant, arrive à l’ouïe des deux époux : ce bruit a le retentissement et la raucité d’un instrument de cuivre ; c’est la voix du cygne. La femelle avertit le mâle par un appel composé de deux notes : tout le corps de l’aigle frémit ; deux ou trois coups de bec, dont il frappe rapidement son plumage, le préparent à son expédition. Il va partir. Le Cygne vient, comme un vaisseau flottant dans l’air, son cou de