neige étendu en avant, l’œil étincelant d’inquiétude. Le battement précipité de ses ailes suffit à peine à contenir la masse de son corps, et ses pattes, qui se ploient sous sa queue, disparaissent à l’œil. Il approche lentement, victime dévouée. Un cri de guerre se fait entendre. L’aigle part avec la rapidité de l’étoile qui file. Le Cygne a vu son bourreau ; il abaisse son cou, décrit un demi-cercle, il manœuvre, dans l’agonie de sa terreur, pour échapper à la mort.
« Une seule chance de salut lui reste, c’est de plonger dans le courant ; mais l’aigle a prévu ce stratagème ; il force sa proie à rester dans l’air, en se tenant sans relâche au-dessous d’elle, et en menaçant de la frapper au ventre ou sous les ailes. Le cygne s’affaiblit, se lasse, et perd tout espoir de fuite ; mais alors son ennemi craint encore qu’il n’aille tomber dans l’eau du fleuve : un coup des serres de l’aigle frappe la victime sous l’aile et la précipite obliquement sur le rivage. Tant de prudence, d’activité, d’adresse, ont achevé la conquête. Vous ne verrez pas sans effroi le triomphe de l’aigle ; il danse sur le cadavre, il enfonce profondément ses armes d’airain dans le cœur du cygne mourant, il bat des ailes, il hurle de joie ; les dernières convulsions de l’oiseau semblent l’enivrer, il lève sa tête chenue vers le ciel et ses yeux se colorent d’un pourpre enflammé. Sa femelle vient le rejoindre ; tous deux ils retournent le cygne, percent sa poitrine de leur bec, et se gorgent du sang chaud qui en jaillit. »
« N’est-ce pas là, s’écrie un naturaliste français, un drame tout entier, avec son exposition attachante, son trouble croissant et ses péripéties imprévues ? N’y trouve-t-on pas terreur et pitié comme dans la véritable tragédie ? Que l’on rapproche de cette magnifique peinture de mœurs les plus belles pages de Buffon et l’on verra la distance qui sépare le naturaliste sédentaire du naturaliste voyageur… Loin de nous l’ingrate et témé-