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Psychologie dentaire


Demain, j’irai chez le dentiste. Demain, c’est décidé, c’est décrété. Finies, mes lâchetés ! Elle partira, l’irréparable mauvaise dent qui m’agace la langue. Je ne la tolérerai plus. C’est impardonnable de l’avoir ainsi gardée presque un an, déplombée et cassée.

Demain, j’irai demain. Je suis libre. Je n’ai rien à faire de mon après-midi. J’irai. Elle partira, la laideronne. Enfin, je n’aurai plus la peine, à chaque jour frais et humide, de me badigeonner les gencives d’iode, par crainte des abcès. Enfin, je serai débarrassée.

Allons, quel temps faut-il pour extraire une dent ? Combien de minutes ? Pourquoi, grand Dieu, ai-je tant tardé ? En un clin d’œil tout est fait. Et quel soulagement ensuite ! Ah !

J’y vais demain. Au fond, j’ai encore peur. Je me raisonnerai, j’endurerai. Si j’allais au martyre, ce serait bien autrement terrible. Mettons qu’on me les enlèverait toutes, les dents, et qu’on ne m’en laisserait pas l’ombre d’une ? Je vois mon désespoir, plus encore devant la perspective d’être enlaidie que devant la douleur. Eh bien ! si je ne me décide pas de moi-même, pour l’amour du bon Dieu, à aller faire