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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/149

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CHOSE DU MONDE
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temps, son présent, son éternité. Elle s’évadait de tout ce qui ne le touchait pas. Même les problèmes familiaux cessaient de l’affecter. Seule la charte où s’inscrivaient les hauts et les bas de la santé du malade modifiait son humeur, atteignait sa sérénité.

Priant beaucoup, elle se disait :

— Je renverserai les montagnes. Jean guérira.

Et s’il ne guérissait pas, qu’importe ? Aimer, c’était enfin vivre. C’était vivre, ces impressions fortes et neuves, cet émoi suave, ininterrompu, sans pareil. Mais comme il était pénible de refouler le désir de se confier, de ne rien raconter à ses amies de son bonheur et des petites peines et des inquiétudes qui s’y accrochaient : ne rien dire, tout renfermer en elle, et parler de mille choses indifférentes, le cœur plein de ce cri sonore.

Lucette n’osait même plus nommer Jean devant sa marraine. Les réserves, les conseils de prudence d’Aline de Villemure tombaient maintenant dans un brasier qui les consumait. Lucette s’abandonnait à son sentiment avec la certitude de plus en plus forte d’avoir raison. Les yeux reconnaissants et joyeux de Jean rendaient en sa faveur le meilleur des témoignages. Pour le moment elle dispensait du bonheur ; tant pis, si plus tard, l’aventure comportait de la souffrance,