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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/151

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CHOSE DU MONDE
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un instant de trêve. Une limousine luisante, remplie de femmes élégantes, attirait parfois leur attention. Il n’y avait encore qu’un peu de neige ; mais on devinait que le bel hiver blanc était en chemin ; et sans autre raison, Claire et Lucette prirent subitement conscience de leur précieuse jeunesse, et certaines de l’importance de leur vie secrète, méprisèrent la fugacité des beaux jours. Elles avancèrent avec plus d’enthousiasme, les yeux clairs sous le ciel nuageux. Leurs vingt ans illuminaient cette fin d’après midi trop tôt dévorée par la nuit.

Regardant les vitrines, splendides à cause de l’approche des fêtes, elles échangeaient des réflexions aussi joyeuses que le son des grelots qui tintaient aux attelages d’hiver. Claire acheta deux œillets à un marchand de fleurs qui se tenait au coin de la rue. Elles les piquèrent à leurs manteaux.

Au Fraser, le vieux bibliothécaire les accueillit, galant et paternel ; elles énoncèrent d’un ton posé les titres des livres qu’elles désiraient. Toute l’année précédente, il leur avait prêté les bouquins nécessaires à leurs études littéraires, et s’était amusé à les voir copier si sérieusement page sur page de notes sur Racine, Boileau, Voiture. Ces grands hommes si bien morts et ces petites filles si vivantes, quel contraste. Il les plaignait