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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/153

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CHOSE DU MONDE
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Une véritable procession défilait sur le trottoir. C’était la promenade à la mode, de cinq à six, la rue Sainte-Catherine ouest. Lucette et Claire saluèrent des amies, d’anciennes compagnes de classe, qu’elles ne revoyaient jamais ailleurs. Les lumières des magasins abolissant l’obscurité, la nuit formait comme un plafond noir au-dessus de la rue éclairée. Et tout le temps Lucette avait conscience de ses vingt ans, chose heureuse et enviable ; les clochettes des voitures pressées, cristallines, semblaient le lui répéter ; elle sentait comme une caresse ce rose froid que le vent appliquait à ses joues.

Claire l’invita à goûter chez Kerhulu. Il serait vraiment tard quand elles y arriveraient. Elles n’auraient plus faim pour le souper à la maison, mais qu’importait. Il fallait profiter de tout ce qui passait.

Elles montèrent dans le tramway en direction de l’est. Bousculées dans la voiture archi-pleine, elles riaient, suspendues aux courroies de secours, pour ne pas tomber. Et Lucette parlait, parlait, d’une infinité de choses tout en se disant : « Je devrais parler de Jean. Claire comprendrait ».

Mais elle ne pouvait pas.

À la rue Saint-Denis, le vent les reçut avec une bouffée glaciale. Elles coururent le long des immeubles qui les séparaient du restaurant.