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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/177

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CHOSE DU MONDE
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sages, il signalait l’enflure, l’invraisemblance, l’emphase… « Du ver de terre amoureux de l’étoile ». La magie des décors, des voix, avait empêché Lucette de bien juger. Puis Jean lui lisait ce qu’il appelait du bon Victor Hugo. Elle rougissait un peu en écoutant les vers de Sara la baigneuse ; mais le tableau, chaste comme la Source d’Ingres, demeurait gravé dans sa mémoire, après la lecture.

D’ailleurs Jean pourrait lui lire sans la troubler les poèmes les plus passionnés. Son amour n’est pas un amour physique ; il ne s’y mêle rien de sensuel. Comment pourrait-il en être autrement ? Elle convoitait comme le plus doux rêve, à dix-huit ans, de s’appuyer un jour à une épaule plus forte, de nicher son visage près d’un cœur vigoureux, protecteur. Jean est malingre comme un enfant ; il ne l’attire pas ainsi. C’est elle qui à l’occasion le protégerait, avec sa belle santé, et cette tendresse maternelle sans tentation qu’elle éprouve pour lui. Des livres l’ont vaguement instruite des réalités de l’amour. Mais Lucette ne désire aucunement se mieux renseigner ; puisqu’elle doit rester célibataire, rien ne presse, se dit-elle. Sa curiosité ne l’a jamais tourmentée à ce sujet. Autrefois, lorsque Monique et elle lisaient les mêmes livres, Monique remarquait toujours des phrases qui n’attiraient pas sa propre attention.