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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/186

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LA PLUS BELLE

quelle gaieté ! Que nous étions drôles ! Je me regarde de haut, quand je me revois à cet âge, mais avec une espèce d’admiration. Que d’idées nous avions. Aujourd’hui mes idées s’arrêtent au niveau du dîner, des soins aux mioches, des commandes à l’épicier et au boucher ; des lainages des enfants à laver moi-même pour qu’ils ne rétrécissent pas, et du régime de ces pauvres chéris. Je n’ai pas un instant pour me cultiver l’esprit. Et encore, je ne suis redevenue moi-même que depuis la naissance de Josette. M’avez-vous trouvée bien sotte, ma chère Lucette, les premières années de mon mariage ? Monique Chênevert n’existait plus. Il y avait à sa place une petite madame Longpré bébête et insignifiante, qui abdiquait toute personnalité, n’entreprenait plus rien de sa propre initiative, dans son désir de plaire à son Seigneur et Maître ! J’adoptais ses opinions sans les discuter, je n’avais plus de volonté, femme soumise, incolore, presque tremblante, mais d’amour ! Oh ! la ! la ! Ensuite s’est jointe à cette jeune madame Longpré épouse, madame Longpré maman ! Penchée nerveusement sur Jacques, nouée à Jacques, prisonnière aux heures de biberon, anxieuse et éperdue pour un petit retard intestinal, désespérée pour un soupçon de fièvre, pour la moindre maladie. Je serais tombée malade, si la bonne l’avait touché, ce pré-