Aller au contenu

Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CHOSE DU MONDE
[ 211 ]

sait-elle pas à moins aimer Jean ? à s’attacher ailleurs malgré elle ? Certes, aurait-il mieux valu se tenir en dehors du monde, mais comment ? Elle n’était pas fiancée, sa jeunesse rayonnait, on venait à elle.

Elle n’avait aucune raison plausible de se dérober. Elle ne pouvait ni donner le véritable prétexte, ni mentir. On l’avait tellement blâmée de son amitié imprudente pour le malade qu’elle ne pouvait afficher maintenant ce sentiment exclusif, ni le trahir par sa conduite. Dédales douloureux du cœur, où elle commençait à marcher, anxieuse et incertaine. « Au début, se disait-elle pourtant, je n’aurais pas hésité, j’aurais catégoriquement refusé toute invitation. Pourquoi alors ? »

Cloîtré, souffrant, Jean ne pouvait causer avec l’amusante verve d’un homme en pleine jeunesse mêlé à la vie courante. Avec Jean, l’entretien se tenait toujours dans une sphère plus élevée, peut-être, mais se teintait pour elle d’une tristesse légèrement opprimante. Au cours de ses promenades avec Gaston, elle respirait plus aisément, lui semblait-il, comme délivrée d’une asphyxie naissante. Ils riaient et Lucette s’apercevait qu’elle avait beaucoup perdu l’habitude de ce rire reposant.