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Page:LeVasseur - Têtes et figures, 1920.djvu/205

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TÊTES ET FIGURES

ne se doutent même pas que de navrantes misères courent la rue, n’ayant d’autre gîte, par un pareil temps, qu’une misérable mansarde.

À la porte d’une de ces somptueuses résidences, aux portiques prétentieux, aux vitraux coloriés, attifée comme une cocotte de trottoir, dont la toilette est généralement l’enseigne, piaffaient deux chevaux de haute encolure, attelés à un brougham. Un cocher, à l’air assez distingué, occupait l’impériale. Un valet de pied, à la tenue correcte, attendait sur le trottoir, une main appuyée sur la poignée de cuivre doré de la portière. Tous deux se tenaient immobiles et raides comme des statues ; à les voir, on eût dit qu’ils étaient dans l’attente de quelqu’Excellence. Le fait est que ces deux graves personnages venaient justement de se mettre un morceau sous la dent, au buffet de la cuisine de la maison, et, qu’avant de se renfermer dans le silence et la dignité professionnels, ils avaient sérieusement discuté entre eux quel plat ils allaient ordonner pour souper. Le cocher, lui, s’était prononcé en faveur de côtelettes de mouton, comme étant de digestion plus légère ; quant au valet de pied, il avait carrément proclamé la supériorité du bifsteck à l’oignon, et avait