Page:Le Bon - Psychologie de l’Éducation.djvu/191

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Vous rencontrez contre cet enseignement moderne la coalition de tous les classiques. Je lisais récemment dans un livre de M. Renan : « Il n’y a pas de gens qu’il soit plus difficile de faire changer d’avis que les pédagogues ; ils tiennent à une idée, il n’y a pas moyen de les en faire revenir. Ce sont des gens de parti pris hostiles ».

Il y a à Caen un homme éminent, M. Zévort, recteur de l’Académie. Il parlait en ces termes de l’enseignement spécial qui a précédé l’enseignement moderne :

« À part des exceptions très peu nombreuses, recteurs, inspecteurs d’Académie, proviseurs et principaux ne virent, dans l’enseignement nouveau, qu’un intrus, une superfétation plutôt tolérée à regret que franchement acceptée. Les professeurs firent également défaut au ministre réformateur ; la situation des maîtres des cours spéciaux, un peu améliorée au point de vue matériel, continua d’être amoindrie au point de vue moral, inférieure à celle de leurs collègues de l’enseignement classique. Que si ces derniers, pour compléter le total des heures qu’ils devaient à l’État, étaient envoyés dans des classes d’enseignement spécial, leur présence y était plus nuisible qu’utile, tant ils mettaient de mauvaise grâce à s’acquitter de leur tâche, qu’ils considéraient comme la plus humiliante corvée ».

La même chose se produit actuellement pour l’enseignement moderne. On lui fait la même guerre. On veut lui rendre toute concurrence impossible.

On a voulu tenter un essai loyal, mais on a fait l’essai le plus déloyal[1].

À l’opposition de l’Université est venue se joindre aussi celle des parents.

Une réforme de notre enseignement secondaire ne sera efficace que si elle se combine avec une réforme de l’esprit public, de l’esprit qui règne dans nos familles françaises.

Nos familles françaises sentent vaguement la nécessité d’une réforme dans l’éducation, mais elles ne comprennent pas suffisamment ce qu’elles ont à faire pour y collaborer.

La plupart des parents persistent à ambitionner pour leur fils des carrières tranquilles : carrières du gouvernement, de la magistrature, de l’armée, de l’administration… carrières où on évite le plus possible les soucis et les tribulations.

Ils ne se préoccupent ni de rendre leurs enfants capables d’affronter par leur valeur personnelle les luttes de la vie, ni de développer chez eux le sentiment de la responsabilité.

  1. Enquête, t. II, p. 303. Houyvet, premier président honoraire.