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les avoir lus le méfait social de l’enseignement secondaire ? » pourrions-nous répéter avec un des rapporteurs chargés de résumer les conclusions de l’enquête.

Les vices essentiels dont souffre actuellement l’enseignement classique le condamnent à produire de plus en plus non une élite d’hommes dignes de ce nom, mais une foule d’aspirants aux fonctions publiques, de littérateurs de vingtième ordre ou de déclassés.

Ajoutez à cela l’épreuve finale qui le termine, le baccalauréat, et qui, en raison même du grand nombre des concurrents et de la rapidité des interrogations, devient, de plus en plus, une loterie : les élèves le savent bien et sortent du collège imbus de cette idée qu’il en est de la vie entière comme du baccalauréat, que tout s’y décide par chance ou par protection[1].

Cette absence de force virile, de persévérance, cette inhabileté à soutenir l’effort, à le conduire jusqu’au bout, la comparaison de nos adolescents avec ceux de beaucoup d’autres pays, les font clairement apparaître. Cela se manifeste d’abord par la façon dont le Français choisit sa carrière. Sur ce point, je n’insiste pas : il suffit de sortir de France pour se rendre compte à quel point nos jeunes gens sont dans l’erreur, lorsqu’ils choisissent une carrière ; ils se tournent vers celle qu’ils croient devoir leur donner le moins de lutte et se devoir terminer le plus doucement possible[2].

On nous reproche avec raison de ne pas marquer nos élèves d’une empreinte morale assez profonde.

… Nous laissons échapper de nos mains des caractères sans couleur et sans relief, que la vie fait muer ensuite sans résistance en indifférents, en sceptiques et en jouisseurs[3].

L’enseignement public est organisé par le Gouvernement de la France ; c’est au premier chef une œuvre d’État. Il devrait préparer nos jeunes gens à la vie ; or nous ne les préparons pas à la vie ; nous les préparons au rêve et au discours ; nous ne les préparons pas à l’action ; nous cultivons par-dessus tout leur imagination.

Cet enseignement ne nous donne pas les hommes dont le pays a plus que jamais besoin[4].

  1. Enquête, t. II, p. 391. Lavollée, docteur ès lettres.
  2. Enquête, t. II, p. 661. De Courbertin, chargé de missions relatives à l’étude des divers systèmes d’éducation.
  3. Enquête, t. II, p. 652. Rocafort, professeur de rhétorique.
  4. Enquête, t. I, p. 313. Léveillé, professeur à la Faculté de droit de Paris.