Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

LIVRE III

LE GOUVERNEMENT POPULAIRE




CHAPITRE I

L’élite et la foule


Le monde moderne se trouve en présence d’un problème, lentement grandi à travers les siècles et qu’il faudra résoudre sous peine de voir certains peuples sombrer dans la barbarie.

Une des caractéristiques les plus certaines, quoique fort méconnue de la civilisation actuelle, est la différenciation progressive des intelligences et par conséquent des situations sociales.

Malgré toutes les théories égalitaires et les vaines tentatives des codes, cette différenciation intellectuelle ne fait que s’accentuer, parce qu’elle résulte de nécessités naturelles entièrement soustraites à l’influence des lois.

Les progrès de la technique sont devenus les vrais moteurs des civilisations modernes. Par sa complication progressive, cette technique a fini par exiger des connaissances théoriques et pratiques si vastes, des initiatives si hardies et un jugement si sûr, que seuls, des esprits supérieurement doués peuvent se hausser à un pareil niveau. Or, en même temps que la capacité des dirigeants s’est accrue, celle des simples exécutants s’est trouvée réduite. La division du travail, le perfectionnement des machines ont rendu le rôle du travailleur à ce point facile que l’apprentissage est presqu’inutile aujourd’hui.

Ainsi, se sont formées des classes distinctes, séparées par un fossé chaque jour plus large. L’éducation permet bien rarement de le franchir, parce qu’elle ne dote que d’une faible partie des qualités nécessaires pour réussir maintenant.

Il est évidemment très irritant pour les esprits dominés par la passion égalitaire, de voir le rôle des élites tellement grandir qu’on ne saurait se passer d’elles, mais ce phénomène était inévitable. Examinez séparément tous