Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/225

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compliquées, parce qu’elles répondent aux besoins non moins compliqués d’une civilisation très ancienne. Nés et vivant sous leur joug, nous y sommes faits, et cependant récriminons à toute occasion contre les lenteurs et les vexations de l’administration ou de la procédure ? Que de formalités administratives entraînent chez les nations civilisées les actes les plus inévitables, la naissance, le mariage et la mort ! En France même, est-il beaucoup de citoyens possédant des notions précises sur les attributions d’un conseil municipal, d’un conseil d’arrondissement, d’un conseil général, d’un juge de paix, d’un tribunal de première instance, d’une cour d’appel, etc. ? Et vous voulez qu’un malheureux nègre, un Arabe, un Annamite, se représente le jeu de tant de rouages enchevêtrés, qu’il doit accepter tout à coup, d’un seul bloc ? Songez à tous les devoirs nouveaux que, sous peine d’amende, il n’a plus le droit d’ignorer, aux nombreux fonctionnaires avec lesquels il va se trouver en contact, le guettant à chaque détour de la vie. Il ne peut vendre ou acheter un lopin de terre, réclamer une dette à son voisin, sans subir les formalités les plus longues et les plus compliquées. Vous l’avez enfermé, lui, le barbare, l’homme à demi-civilisé, dans une série inextricable d’engrenages. Jusqu’alors il n’avait connu que des institutions simples et parfaitement en rapport avec ses besoins : une justice sommaire, mais peu coûteuse et rapide, des impôts dont il comprenait le mécanisme, auxquels il était habitué et qui ne comportaient rien d’imprévu. Lui dont la vie ignorait les entraves, et pour lequel le lointain pouvoir absolu d’un chef ne signifiait souvent rien de direct et de réel, il trouve que la prétendue liberté dont nous le dotons se présente sous des formes singulièrement tyranniques.

Ces objections ne sauraient ralentir le zèle de nos théoriciens, qui se croient le devoir de faire le bonheur des peuples malgré eux. En dépit des répugnances les plus naturelles, nos colonies doivent bon gré mal gré jouir des bienfaits de nos institutions compliquées.

Pour maintenir ces institutions, on leur expédie des légions de fonctionnaires. C’est à peu près d’ailleurs notre seul article d’exportation sérieux. À la Martinique, où 95% de la population est nègre, on compte 800 fonctionnaires français. Dans les 3 ou 4 petits villages de l’Inde nous appartenant encore, et dont les habitants sont exclu-