Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/61

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divinités est devenu beaucoup plus puissant qu’elles.

C’est surtout aux époques troublées qu’on le voit démesurément grandir. Il est alors capable de transformer en bêtes sanguinaires de pacifiques bourgeois, inspirer à Carrier ses noyades et ses réquisitoires à Fouquier-Tinville. Ce dernier, magistrat réputé jadis pour sa douceur, ne s’arrêta plus dans les hécatombes dès que le fantôme de la peur l’eut fixé. Il devint féroce au point de proposer de saigner les condamnés avant de les conduire à l’échafaud pour les priver de leur courage.

Nous n’en sommes pas encore là. Souhaitons, malgré les menaces de certains socialistes, de n’y point arriver, mais rappelons-nous que le chemin sur lequel entraîne le spectre de la peur est fort glissant et ne se remonte pas.

Actuellement, le terrible fantôme se borne à suggérer les lois les plus absurdes, les plus nuisibles, à l’avenir de l’industrie. Il lui suffit, pour y parvenir d’exciter quelques énergumènes hypnotisés par des formules et se souciant fort peu d’ailleurs de l’intérêt général. Croit-on, par exemple, qu’il y ait eu un électeur sur 100.000 ayant souhaité réellement le rachat des chemins de fer de l’Ouest ?

En fait l’électeur s’inquiète médiocrement des lois inspirées par des principes et ne s’occupe que de ses intérêts immédiats. Il vote surtout pour ou contre les personnes et s’occupe peu des opinions.

Dans les mobiles des votes des législateurs interviennent surtout les promesses, les mots d’ordre, les formules magiques : donner un coup de barre à gauche, poursuivre l’infâme capital, socialiser les propriétés, etc. Ces fétiches élaborés dans les clubs, les comités, les syndicats, les arrière-boutiques des cafés, inspirent une telle peur que l’orateur le plus aimé n’ose les heurter pour éviter l’impopularité.

Toutes ces formules ne constituent pourtant que de vains bruits. L’homme possédant la psychologie des foules les répète quelquefois, mais ne les applique jamais.

Il sait fort bien, en effet, que les masses obéissent à une logique inconsciente des sentiments entièrement soustraite à la logique rationnelle. Elles acclament volontiers Brutus parce qu’il a tué César, mais proposent aussitôt de faire de Brutus un César.


Les grands meneurs devinent, ou plutôt suivent assez