Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/365

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ment comme la veille. La jeune fille, par l’entre-bâillement du rideau, regardait. Sa mère ne vint encore que la dernière ; cette fois, elle était toute voûtée, car, au lieu d’un seau, elle avait à en porter deux ; elle pliait sous le faix, et son visage était presque noir de colère.

Pour le coup, la jeune fille ne put se retenir d’interpeller la morte.

Mamm ! Mamm ! qu’avez-vous que vous paraissiez si sombre[1] ?

Elle n’avait pas fini que sa mère se précipitait sur elle furieuse, et lui criait, secouant son tablier jusqu’à l’arracher :

— « Ce que j’ai ? malheureuse !… Cesseras-tu bientôt de me pleurer ? Ne vois-tu pas que tu me forces, à mon âge, à faire le métier d’une porteuse d’eau ? Ces deux seaux sont pleins de tes larmes, et si tu ne te consoles dès à présent, je les devrai traîner jusqu’au jour du jugement. Souviens-toi qu’il ne faut point pleurer l’Anaon. Si les âmes sont heureuses, on trouble leur béatitude ; si elles attendent d’être sauvées, on retarde leur salut ; si elles sont damnées, l’eau des yeux qui les pleurent retombe sur elles en une pluie de feu qui redouble leur torture en renouvelant leurs regrets. »

Ainsi parla la morte.

Quand, le lendemain, la jeune fille rapporta ces paroles au recteur, celui-ci lui demanda :

  1. Cf. sur cette idée que notre chagrin augmente dans l’autre vie la peine de ceux que nous avons perdus : Ch. Joret, La Rose (1892), p. 354. V. aussi Luzel : Veillées bretonnes, p. 34 et seq. [L. M.].