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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/162

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AUX VEILLÉES DE NOËL

— La mer ! pensa Boishardy, je n’avais pas prévu ce détail !…

Il enfonça les deux genoux dans les flancs de sa monture, râlante, à demi-noyée, et, ayant saisi entre les dents une de ses oreilles, dressées d’épouvante :

— Hangn ! fit-il.

Sous cette morsure sauvage, l’animal bondit avec un hurlement de douleur.

— Sauvés ! s’écria le chouan.

Ils étaient déjà sur l’autre rive.

L’aubergiste de la Tête-de-Loup fut long à réveiller. Il montra enfin à la lucarne sa grosse figure congestionnée.

— Qui est là ?

— Pour Dieu et le Roy ! proféra Boishardy. Ouvre vite, triple endormi, si tu ne veux que les compagnons te fassent perdre avant peu le goût des draps !

Maître Jean Tarridec ne se le fit pas répéter deux fois. Sa femme, sa fille Lévénès, le palefrenier, tout le personnel de la Tête-de-Loup fut bientôt sur pied.

— D’abord qu’on soigne le cheval ! J’entends qu’avant une demi-heure il n’ait plus un poil de mouillé. N’oublie pas de verser une chopine d’eau-de-vie dans son avoine.

Cet ordre donné au garçon d’écurie, le chef de bande se tourna vers l’aubergiste qui grelottait dans sa graisse, un peu de peur, beaucoup de froid, n’ayant passé de son vêtement que les pièces les plus sommaires.

— Toi, pour t’apprendre ton métier de chouan, je devrais bien t’emmener en cet état faire un tour de ville. Mais je suis bon prince. Va t’habiller, pendant que je ferai prendre à mes semelles un air de feu.

La maritorne, aidée de Lévénès — fine fleur des côtes au parfum de goémon frais, — avait ranimé la cendre du