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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/163

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NOËL DE CHOUANS

foyer en y jetant une brassée de copeaux. Elle disposait le trépied et, sur le trépied, la poêle, tandis que la jeune fille battait des œufs.

Boishardy assistait à tout ce manège, du centre d’un nuage de vapeurs flottant autour de son accoutrement détrempé. Il s’exhalait de la cuisine proprette et chaude une torpeur de bien-être qui l’envahissait. Si endurant qu’il fût à la fatigue, sa marche du jour, sa chevauchée de la nuit avaient endolori ses membres. Et puis, on a beau être un aventurier, un fanatique de la vie nomade, on n’en subit pas moins le charme momentané d’une maison close au vent qui vente, d’un abri paisible et sûr, égayé par les sursauts de la flamme dans l’âtre et par les mouvements onduleux d’une belle fille qui va, vient, s’empresse et laisse rire dans ses yeux d’esclave soumise la joie qu’elle a de vous servir.

Déjà le chouan se voyait étendu, après un copieux repas abondamment arrosé, dans un lit de ouate tiède fleurant les lavandes du printemps dernier.

Mais, par une subite association d’images, il se rappela l’autre lit, là-bas, le lit de Keralzy avec son banc de chêne, ses volets sombres, sa couette de chanvre, bourrée de vieille balle, ses toiles d’araignée peuplées de mouches mortes, et ses tristes couvertures en loques où un pauvre être de douze ans agonisait sans plainte, en rêvant d’une veste à boutons de nacre trop longtemps désirée en vain et qu’il avait grand’chance de ne porter jamais.

Il secoua sa lourde tignasse brune toute ruisselante d’eau de mer, et, poussant du pied la poêle où commençait à bruire doucement la chanson du beurre rissolé :

— Ta, ta, ta, fit-il, ramassez-moi toutes ces gâteries. J’ai bien autre chose en tête.

Maître Tarridec descendait l’escalier, enveloppé dans