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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/46

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VIEILLES HISTOIRES DE PAYS BRETON

— Et maintenant, madame ? demanda l’intendant, très embarrassé de sa personne dans ce mystérieux tête-à-tête.

— Maintenant, seyez-vous là.

Elle lui montrait un siège en face du sien.

— Approchez-vous davantage, davantage encore, insista-t-elle. Je désire que vous m’entendiez bien… J’ai fait cent cinquante lieues tout d’une traite pour arriver jusqu’à vous, à l’extrémité de cette terre de l’Ouest qui passe, dans les traditions de mes ancêtres, pour être le purgatoire du monde, un lieu de pénitence, un séjour de lamentation et de deuil. Que de fois votre seigneur et le mien ne m’a-t-il pas suppliée à genoux de l’y suivre ! Obstinément, je répondais : Non !… Et voici que je suis venue ! Vous vous doutez bien qu’il a fallu qu’un impérieux besoin m’y contraigne. J’ai tergiversé aussi longtemps que j’ai pu… Plus tard, il eût été trop tard. Le jour même où le marquis m’annonçait par lettre son retour à Versailles, je me suis mise en chemin pour Guerrande, certaine désormais qu’il n’y serait plus. J’avais intérêt à ne rencontrer ici que vous seul. Pourquoi ? Je vais vous l’apprendre… Mais d’abord, messire Guillaume, soyez franc : vous me détestez, n’est-ce pas. autant que vous aimez votre maître ? Pas de faux-fuyant, s’il vous plaît ! Je suis une bohémienne des routes : on peut — surtout quand je la réclame — me dire la vérité.

Messire Guillaume Guégan jugea que, interpellé de la sorte, il n’avait pas le droit de mentir. Il prononça donc d’une voix nette et ferme :

— Si je n’aimais pas mon maître comme je l’aime, je vous aurais moins haïe pour tout le mal qu’il souffre par vous.

— À la bonne heure, repartit avec une gravité triste