Page:Le Centaure, I, 1896.djvu/26

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qu’un voile humide s’était posé sur ses longs yeux. Un silence éternel dormait dans les bois.

Et voici qu’une larme gonflée emplit le coin de son œil gauche.

Byblis n’avait jamais pleuré. Elle crut qu’elle allait mourir, et soupira, comme si un soulagement divin la secourait mystérieusement.

La larme s’accrut, trembla, s’élargit, puis soudain coula sur la joue.

Byblis resta immobile, les yeux fixes, devant la lune.

Et voici qu’une larme gonflée emplit le coin de son œil droit. Elle s’élargit comme la première, glissa sur les cils et tomba.

Deux autres larmes naquirent, deux gouttes brûlantes qui allongèrent la trace humide de la joue. Elles atteignirent le pli de la bouche ; une amertume délicieuse enivra l’enfant accablée.

Ainsi jamais plus sa main ne toucherait la main aimante de Caunos. Jamais plus elle ne reverrait la lumière noire de son regard, sa chère tête et ses jeunes cheveux. Jamais plus ils ne dormiraient côte à côte sur le même lit de feuilles, enlacés. Les forêts ne savaient plus son nom.

Une explosion de désespoir fit tomber le visage de Byblis dans ses mains ; mais une telle abondance de larmes vint mouiller ses joues enflammées, qu’il lui sembla qu’elle sentait une source miraculeuse entraîner toutes ses souffrances comme des feuilles mortes sur l’eau d’un torrent.

Les larmes naissaient doucement en elle, montaient à ses yeux, flottaient, débordaient, glissaient en nappe chaude sur ses joues, inondaient sa poitrine étroite, retombaient sur ses jambes serrées. Elle ne les sentait plus perler une à une entre ses longs cils : c’était un ruissellement continu et doux, une affluence intarrissable, l’effusion d’une onde enchantée.

Cependant, réveillées par le clair de lune, les immortelles de la forêt étaient accourues de toutes parts. L’écorce des arbres devenue transparente avait laissé voir la figure des nymphes, et même les naïades frissonnantes, quittant leurs eaux et leurs rochers, s’étaient répandues dans les bois.