Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le marquis ouvrit de grands yeux.

— Ah ! pardon ! dit-il, c’était de mon temps… on commençait par là.

Frumand sourit :

— Je veux être prudent, et comme je ne suis pas sûr de réussir…

— Bravo ! mon cher, belle théorie !… Mais je vous crois, au contraire, très bien en cour. J’en ai eu la preuve hier encore, car je peux vous confier qu’on nous a fait l’honneur de nous demander notre avis et que, tous les trois, à qui mieux mieux, nous avons renchéri sur vos vertus.

— Tous les trois ?

— Tous les trois. Bernard a porté le dernier coup. Il a répondu : « C’est mon meilleur ami ! » d’un ton si convaincu, qu’on ne pouvait manquer d’en être touché.

— Ah ! il a dit cela ?

— Mon Dieu ! oui.

Frumand hésita une seconde. Il comprit qu’il fallait s’arranger du tour d’esprit de M. de Cisay et qu’il n’était pas impossible d’en tirer parti. Sans avoir l’air d’y toucher, il amena le marquis à lui donner d’autres détails sur la visite de Mme d’Oyrelles. Il espérait toujours y trouver l’éclaircissement qu’il désirait. Mais rien ne vint. Force lui fut d’entamer autrement.

— Alors, je vois qu’il n’a pas été question de mon rival ?

Le marquis dressa l’oreille.

— De votre rival ?

Frumand attacha sur M. de Cisay son œil profond sans cesser pourtant de sourire, ce qui lui faisait une étrange physionomie.

— Avouez, monsieur le marquis, qu’il est bien redoutable. Vous le savez mieux que moi… on ne lui résiste pas.

Le marquis, un peu troublé, ne voulut pas avoir l’air d’attacher importance à ce qu’il venait d’entendre. Son dessein était toujours de faire causer Frumand, sans se douter que Frumand lui rendait la pareille. Il commençait seulement à se demander quand le jeune homme expliquerait sa visite et inclinait à croire qu’il était venu pour s’assurer que l’affaire était en bonne voie.

— Vous voulez parler de Bernard ? Oh ! il n’y a pas de mystère là-dessous. Il avait en effet, dans le temps, pensé à Mlle d’Oyrelles…

Frumand devint subitement très grave. M. de Cisay remarqua en lui un changement complet d’attitude.

— Mais c’est fini, ajouta prestement le marquis.

Frumand ne souriait plus ; et son regard seul continuait à révéler l’intensité de sa pensée. Une sorte de lutte intime, et en tous cas une souffrance, se trahissait dans son attitude.