Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le marquis s’embrouillait de plus en plus dans ses conjectures :

— Oh ! c’est tout à fait fini, répéta-t-il machinalement.

Puis, voyant que Frumand ne se déridait pas et ne parlait plus :

— Ah ! ça ! s’écria-t-il en cherchant toujours à plaisanter, savez-vous que pour un vainqueur vous n’avez pas l’air fier ? Vous avez le mariage funèbre, mon jeune ami.

— Le mariage… murmura Frumand qui sembla sortir d’un rêve. Je ne vous ai jamais dit que je me mariais, monsieur le marquis.

— De mieux en mieux !

— Je puis même vous assurer du contraire.

M. de Cisay se leva et se mit à marcher dans la chambre.

— L’un de nous deux a l’esprit de travers, pensa-t-il à mi-voix. Vous veniez donc m’apprendre que vous aviez renoncé au mariage ?

— Pas précisément. Mais ce que je puis vous certifier, c’est que je n’épouserai jamais Mlle d’Oyrelles.

— Parce que… ?

— Parce qu’il y a cinq minutes que je me suis retiré.

— Cinq minutes, dites-vous ?

— Mon Dieu ! oui, monsieur le marquis. Cela s’est fait au moment où vous m’avez appris que Bernard l’aimait.

Le marquis s’arrêta court :

— Vous ne le saviez pas ?

— Pas au juste.

M. de Cisay fit un nouveau geste d’étonnement.

— Et c’est pour me le faire dire que… ?

Il se croisa les bras et, ne pouvant retenir sa joyeuse nature :

— Mais ils sont très-forts, ces petits jeunes gens !

— Ne m’en voulez pas, monsieur le marquis, dit Frumand de sa bonne voix franche.

— N’empêche que vous m’avez roulé sans que j’y prenne garde.

— J’étais si perplexe ! Bernard m’avait confié qu’il était amoureux. J’avais cru deviner le nom de Jeanne, mais je n’étais pas sûr, et vous devez comprendre qu’à tout prix je voulais m’éclairer.

— Eh bien ! s’écria M. de Cisay en faisant un demi-tour sur ses talons, il en adviendra ce qu’il pourra ! Je ne regrette rien. La franchise m’a toujours porté bonheur.

Frumand se leva :

— Et moi, monsieur le marquis, je vous remercie profondément, car vous m’avez rendu un service que je n’oublierai jamais.

Il y a des gens pour qui la vérité est presque une gourmandise. Non seulement ils n’ont pas de mérite à la dire, mais il leur est pénible de s’en priver.

— Voyez-vous, reprit le marquis, je suis trop vieux pour changer