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— Maintenant, continua-t-il, le mal est fait. Il faut le réparer. Nous avons pensé les uns et les autres à plusieurs combinaisons qui, jusqu’ici, à cause de diverses circonstances, n’ont pas réussi. Nous avions pensé notamment que Bernard pourrait faire un mariage riche, ce qui lui eût été facile, modestie à part, et eût assuré l’avenir de la famille.

— Parfaitement, opina le comte.

Bernard se troubla. Le marquis se tourna du côté de son fils.

— Seulement, Rodolphe, nous avions un peu oublié que le mariage, n’étant pas uniquement une question de finances, ne pouvait servir de remède à nos maux qu’autant que le principal intéressé y trouverait son bonheur en même temps que notre salut.

— Les deux sont liés, dit sèchement le comte.

— Ce n’est pas tout à fait mon avis. C’est là que nous nous sommes trompés ou du moins que nous avons exagéré. Pour ne rien confondre, je me chargerai dorénavant de la responsabilité de nos affaires de fortune. J’en prendrai la gestion, ce qui est un devoir pour moi et ce qui te donnera toute liberté, mon cher Rodolphe, pour conseiller et diriger ton fils en dehors des préoccupations d’argent.

— Mais, s’écria le comte, vous savez bien que nous sommes dans une impasse ! Vous trouverez donc une solution financière ?

Le marquis ne crut pas le moment venu de découvrir son plan.

— Ne t’inquiètes pas de ça !… Je m’en charge.

Tous trois se turent.

— Ce sera joli ! grommela Rodolphe en lui-même. D’ailleurs, je le défie bien de se débrouiller là-dedans. Il aura encore besoin de moi.

Le comte n’avait aucun droit de s’opposer à la volonté du marquis, puisqu’il savait mieux que personne que les restes de la fortune appartenaient entièrement à son père. Il était, même vis-à-vis de Bernard, dans une certaine dépendance morale, ayant englouti dans ses pertes la dot de sa femme, dont son fils eût été en droit de lui demander compte. Sa situation était mauvaise, il le sentait. Mais il pensait que le marquis allait s’enferrer dans quelque légèreté ou tomber dans quelque exagération, moment guetté, où son esprit pratique reprendrait la supériorité. Il l’attendait à la première objection :

— Vous savez, mon père, que nous n’avons pas de quoi vivre.

— Hélas ! oui, je le sais. Mais je ne suis pas encore découragé ! Je suis résolu au-dedans de moi-même à faire un sacrifice quelconque, parce que je ne veux pas que cette situation embarrassée pèse sur l’avenir de Bernard.

— C’est impossible. Vous n’y arriverez pas.

Le marquis lança à son fils un regard très ferme :