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Page:Le Franc - Grand-Louis l’innocent, 1925.djvu/19

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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

massifs et des feuillages légers. On y marchait jusqu’à la mort, croisant de temps en temps une humanité en quête de proies. On rencontrait aussi des regards doux comme des yeux de faon entre les branches, vite évanouis.

La lande, de son côté, gagnait en ampleur. L’âme vacillait d’un paysage à l’autre. Elle tâchait de creuser, entre les deux, sa vallée. Elle se cherchait. C’était l’heure des réalisations. Maintenant ou jamais… Il fallait mettre de l’ordre dans le désordre, sortir des masses chaotiques et blanches, secouer le vertige. L’ombre courte, dure, hérissée de la lande devait servir de refuge.

Ce jour-là, Ève avait poussé la table près du seuil. On eût dit qu’une lessive bleuâtre séchait sur les ajoncs. Le soleil s’accrochait à leurs pointes. La péninsule au dos arqué, aux vertèbres à nu, se penchait vers la mer pour s’y abreuver. Des mouettes planaient.

Elle se barricada contre le paysage. L’âme aux sombres degrés appelait. Il fallait descendre au royaume intérieur. Il fallait creuser, se retrouver dans les arcanes, démêler la lumière. Il fallait commencer le chant. La mer, la lande et le vent devaient soumettre leur rythme à celui-ci, le Nord devait cesser de haleter, passionnément, dans la mémoire.