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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

malade est condamné, qui la nuit se couche habillée sur son lit pour être prête quand on frappe à sa porte ; voici celle qui veille en récitant le chapelet ; voici celle qui prie à haute voix sur la tombe, le jour de l’en­terrement ; voici celle qui hérite des hardes.

On croit aux revenants. On croit à la réincarnation. Si un enfant meurt, la mère donne le même nom à celui qui naît après lui, avec la conviction que l’âme du mort habite le corps du nouveau-né.

En hiver surtout, toute cette terre est le domaine de fantômes qui y flottent dans des écharpes de brume et de vent. À la tombée de la nuit, les animaux errants sont sacrés. On sait que les pécheurs reviennent sur la terre vêtus de peaux de bêtes, pour expier leurs fautes. Un mouton qui bêle au clair de lune, sur la butte, auprès d’un moulin abandonné, est le défunt meunier qui jadis tricha sur le contenu des pochées de farine. Un meunier a généralement tant de bouches d’enfants à nourrir ! Il faut le soulager par des prières. Et une âme en peine loge dans cet animal mi-chien, mi-loup, à la langue pendante, aux yeux de feu, qu’on rencontre le soir aux carrefours.

Se trouver seul dans ce pays est déjà commencer à mourir. Ève était reconnais­sante au Grand-Louis de sa présence.