Page:Le Franc - Le destin - nouvelle canadienne inédite, Album universel, 25 août 1906.djvu/2

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me de chaque côté de la voie, Andrée évoqua son arrivée de jadis dans ce même quartier dont les nobles et monacales maisons étaient alors abritées par les feuillages mouvants des érables. À ce moment, l’été régnait dans toute sa surabondance de splendeur et de vie ; aujourd’hui, l’hiver faisait rage, mais Andrée ne parvenait pas à s’attrister, et ce fut avec une sourde allégresse qu’elle prévint l’hôtelier qu’il était inutile de monter ses bagages dans sa chambre, puisqu’elle ne faisait que passer à Montréal. Elle devait prendre le train pour New-York dans le cours de la même semaine et de là faire voile pour la France.


II


Étendue sur ce lit d’hôtel où elle ne pouvait trouver de repos, même après une nuit de voyage, dans la tension de nerfs et de pensée où elle était depuis plusieurs semaines, Andrée revécut ce passé qu’elle allait laisser derrière elle, de ce côté de l’océan.

Elle se revit dans la maison paysanne de ses parents, petite fille farouche et solitaire, adolescente concentrée sur elle-même, jeune fille romanesque qui avait puisé on ne savait où son goût des chimères, orgueilleuse aussi, d’un orgueil qui l’empêcha d’épouser quelque camarade d’enfance avec lequel elle eût filé des jours monotones et tranquilles au rouet du destin, sur les bords d’un des ruisseaux chantants de son pays.

Elle se souvint de la misère mêlée de honte qui était la sienne de ne pas pouvoir aimer, selon le sort commun, un des braves garçons qui l’entouraient,