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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/174

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marie le franc

retournement complet. Il y a quelques secondes, j’étais d’une fermeté et d’un détachement absolus vis-à-vis de vous. La sonnerie du téléphone a par sa vibration brisé tous ces fils barbelés. Je ne suis plus que joie badine, le reflet de la vôtre, et là-dessous je ne sais quel détachement amer qui a peut-être sa grandeur.

Votre supériorité sur moi est que vous ne préméditez jamais vos attitudes. Le moment arrive où vous éprouvez l’irrésistible désir d’entendre ma voix et de faire résonner à mon oreille un « Hello ! » clair et joyeux qu’aucune émotion ne voile. Vous suivez votre impulsion et tout est dit. Pourquoi vous en voudrais-je que ce désir ne vous vînt pas à l’heure matinale où vous débarquiez dans la ville et où vous possédait tout entier la préoccupation de gagner votre hôtel, de vous y faire donner la chambre à laquelle vous êtes accoutumé ; puis, la peau luisante et le linge immaculé, de descendre au grill-room, d’examiner d’un coup d’œil la salle pour y découvrir quelque figure de connaissance, de recevoir les salutations du maître d’hôtel qui vous a reconnu, qui ponctue les nouvelles qu’il vous donne de « sir » respectueux et ne vous fait pas l’injure de demander : « Tea or coffee, sir ? »

Cette première journée est entièrement réglée à l’avance. Le soir, votre visage s’épanouira d’aise