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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/226

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marie le franc

me faire lire, s’amusant de mon accent comme plus tard elle devait s’amuser de ma rue.

Ce fut dans les Rocheuses que je compris qu’Annabel était une petite fille marquée d’un signe.

Elle était venue par eau cette fois me trouver et je la reconduisais jusqu’à l’anse où elle avait laissé son canoë.

Nous marchions sur l’herbe fuyante de la prairie. Elle me devançait légèrement, sans rien dire, et c’est en la regardant de biais que me vint le sentiment qu’elle était affligée d’un mal, ou visitée d’une grâce.

Elle marchait comme si elle était seule. Son pas faisait un chantonnement dans le crépuscule. Peut-être un glissement de barque qui commence à toucher le fond. Ou bien encore le faible crissement du grillon qui chante dans une étable, tout seul, la nuit, pour les grands bestiaux qui dorment. Il n’y avait pas d’autre bruit. Il était étrange qu’on entendît une petite fille se mouvoir au milieu des montagnes.

Et je sus tout d’un coup que ce mal, cette grâce, étaient une seule et même chose, et qu’ils se nommaient Solitude. Du sommet des montagnes, elle repérait l’enfant, et déjà, sans que celle-ci s’en aperçût, l’ombre de ses ailes déployées flottait au-dessus de son cœur qui ignorait encore toute vocation. L’espèce de sentier que ses pas avaient