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marie le franc

ressentie se transformait peu à peu en une sensation d’étrangeté. Le prince chassait devant lui l’atmosphère de ce salon rectangulaire assez vaste, écrasé entre deux étages d’un building. Il semblait que pour la première fois depuis des années on eût ouvert les fenêtres, et qu’un air d’une odeur et d’une saveur nouvelles fût entré. Le visiteur n’était que grand et cependant il faisait volume dans le salon.

La cousine ôtait ses gants de fil gris, son manteau de satin, ses chaussures de neige, remontait la voilette au-dessus de son nez aquilin aux narines étroites, fermées aux odeurs vulgaires, reprenait haleine, menait un petit bruit de gouvernante bien élevée, choisissait pour s’asseoir un fauteuil de moyennes dimensions.

Le prince enlevait son bonnet de fourrure. Dépouillé de lui, il ne perdait guère ni de sa hauteur, ni de son allure, car la brosse de ses cheveux, compacte, luisante, militaire, dressait sur son front une sorte de coiffure de boyard.

On ne voyait pas ses yeux, à cause du lorgnon à verres fumés qu’il portait. Le col de sa pelisse retenait de la neige. Il s’assit sur une chaise à dossier raide et attendit, gardant à la main sa canne. Il n’avait enlevé qu’un de ses gants, de fil gris aussi, laborieusement reprisé à petits croisillons auxquels l’œil se prenait. Il y avait de l’oiseleur