Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/134

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âme qu’il leur faut quitter. Au moyen âge, la misère en fait des routiers au service des pires causes ; au XVIe et au XVIIe siècle, ils vont peupler avec les Normands nos colonies d’Amérique. Ils émigrent maintenant à Panama, au Chili, dans la République Argentine, en France surtout. Le mouvement grandit chaque année. Au dernier recensement, le seul département des Côtes-du-Nord avait perdu 9.604 habitants, dont 5.773 pour l’arrondissement de Lannion. La natalité a-t-elle baissé ? Non, c’est l’émigration qui pompe d’un coup une paroisse, résorbe le trop-plein d’un canton. Comment faire pour vivre ? L’infini morcellement de la propriété rurale interdit toute culture un peu savante. Plus d’industrie : les dernières mines sont abandonnées ; les rouets chôment, la voix cassée, dans le coin des fermes du bas pays. On ne tisse plus dans cette Bretagne, héritière des Flandres, qui exportait jusqu’aux Indes, en Afrique et le long des côtes d’Espagne et de Portugal ses « berlinges » de Guingamp et ses fines nappes ouvragées de Quintin[1]. La mendicité s’organise ouvertement dans toutes les paroisses, devient un état dans l’État ; les hommes, les femmes valides partent renoncent au pays, cherchent à l’extérieur quelque occupation qui les nourrisse, si basse et vile qu’elle soit. Et, comme ils ont l’instinctive méfiance de

  1. Je crois bien que la dernière du genre — un chef d’œuvre — fut la nappe offerte au comte de Chambord, sous Louis-Philippe, lors de ce pèlerinage des légitimistes à Belgrave-Square (1843) dont Chateaubriand faisait partie.